DANS L’ATELIER DE WILLIAM KENTRIDGE

mercredi19mars 2014

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Ce dimanche 9 mars 2014 en fin de matinée, j’atterris à Johannesburg. Je viens prendre part au troisième et dernier workshop de William Kentridge surWinterreise de Schubert. Matthias Goerne et Markus Hinterhäuser sont arrivés peu avant moi, nous nous retrouvons pour un déjeuner convivial chez Anne et William Kentridge en présence de tous les collaborateurs de l’artiste.

C’est durant le Festival 2011 que William Kentridge me propose de travailler à une « petite forme », en contraste avec l’immense production du Nez de Chostakovitch que nous présentions cette année-là. Différentes pistes sont évoquées dans les mois qui suivent, des opéras de chambre, des cycles de Lieder, des pasticcios. Cette petite forme sera notre quatrième collaboration, après Il ritorno d’Ulisse in patria (1998), Die Zauberflöte (2005) etLe Nez.

En novembre 2012, nous revoyons Kentridge à Rome avec Béatrice de Laage et Markus Hinterhäuser, directeur des Wiener Festwochen et merveilleux pianiste. Au terme d’une journée de discussions et d’essais, notre choix se porte sur Winterreise de Schubert.D’emblée, visionnant quelques films muets de William sur des Lieder, nous sommes impressionnés par l’adéquation évidente de nombreux de ses films avec le monde de Schubert : objets quotidiens, paysages d’hiver, personnages solitaires, souvenirs de rencontres amoureuses, oiseaux en vol, cortèges funèbres, l’univers de Kentridge semble être en résonance naturelle avec les poèmes de Müller.

Le premier workshop a lieu à Johannesburg en février 2013. L’objectif est d’identifier les matériaux visuels – existants ou à créer – qui conviendraient le mieux aux Lieder de Schubert. Pour chaque Lied, William propose plusieurs films : certains s’imposent immédiatement, mais quoi qu’il en soit, un important travail de création et de montage sur la musique sera nécessaire. D’immenses arbres dessinés (dessins à l’encre de Chine sur plusieurs couches de papiers également peints et collés) sont posés sur les murs du studio de Kentridge. Ces arbres vont constituer l’un des fils rouges de cette création sur Winterreise.

En janvier 2014, c’est le deuxième workshop dans l’atelier de Kentridge. Nous découvrons le montage des films réalisé sur chacun des Lieder : Matthias Goerne a également fait le déplacement, et nous avons droit à un premier « filage » très utile qui nous permet de discuter des points à retravailler. Il s’agit avant tout de vérifier ensemble que l’image et la musique se croisent et s’enrichissent mutuellement, en évitant tout risque d’illustration ou de redondance. Mais nous savons aussi qu’il faut éviter un autre danger, si fréquent sur les scènes d’opéra, quand l’image projetée domine la musique et écrase les chanteurs : les questions de rythme, de densité et d’intensité sont au cœur de nos préoccupations et de nos discussions. Ce qui me frappe, même dans l’intimité de la répétition, c’est l’intensité expressive de Matthias Goerne, sa présence irradiante qui constitue un pôle visuel et musical très puissant par rapport à l’image projetée. Les films sont projetés non pas sur un écran, mais sur deux parois de bois légèrement décalées, recouvertes de papiers et de dessins, comme les murs de l’atelier de Kentridge. Emergent ainsi des pages de vieux livres, des mots brisés, des images déteintes qui constituent des traces d’un temps révolu. Le voyage dans le temps est multiple : le temps de Schubert, celui des films de Kentridge, et celui des vieux papiers collés sur ces murs qui accueillent la projection des films.

Ce lundi 10 mars, nous nous retrouvons dans le grand atelier que William Kentridge a installé il y a quelques années dans un ancien bâtiment industriel au centre de la ville, au milieu d’un quartier abandonné qui commence à reprendre vie. William a retravaillé en profondeur la matière visuelle de deux Lieder, et affiné beaucoup d’autres moments. Une respiration commune semble animer maintenant la voix de Matthias, le piano de Markus et les images. Une quarantaine de collaborateurs et d’invités assistent à cette répétition publique, vécue ici comme une « première » avant la lettre. Pendant une heure et quart, la voix de Mathias Goerne, le piano de Markus Hinterhauser et les films de William Kentridge se retrouvent en un dialogue subtil, passionné, émouvant… Au Voyage d’hiver de Schubert correspond le voyage de Kentridge qui a retraversé vingt années de création visuelle. La rencontre est étonnante, foisonnante, éminemment poétique.

Dans quelques mois, le public pourra découvrir ce Winterreise à Vienne, Amsterdam, Aix et bien d’autres lieux, ainsi que sur Arte. En ce qui me concerne, ce processus de création a été passionnant et cette répétition lundi 10 mars restera un moment de grâce inoubliable. 

Bernard Foccroulle, Directeur Général du Festival d’Aix-en-Provence

Ecoutez quelques extraits du Winterreise chanté par Matthias Goerne: